Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/231

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fois, sa peine, son temps, et le programme de son titre.

L’homme était à tout le moins médiocre et je ne sais ni d’où ni comment le rêve lui était venu de faire figure parisienne. Il en accourt ainsi par milliers de province au rayonnement de la Ville Lumière qui s’y brûlent misérablement les ailes et les pattes. Cette phalène sortait des colonies, et, s’il m’en souvient, des Antilles ; mais, par exception singulière, les langueurs créoles étaient en lui remplacées par une activité trépidante et tirée à toute ficelle qui ne lui permettait pas de s’asseoir. Sa volonté était à l’avenant, et, sans exagérer, frénétique. Il l’imposait, d’ailleurs, par le cramponnage. Oh ! quelle force, le cramponnage, celle de Cynégire, frère d’Eschyle, qui, les deux bras tranchés, et peut-être la tête aussi, retient encore la barque perse avec les dents, comme un crampon. D’où le vocable.

Je disais à Gonry, mon « valet de bureau », comme l’appelait Georges : — Gonry, quand ce monsieur à tête de chèvre hystérique demandera à me voir, je viendrai de partir pour les îles Baléares, et s’il insiste, précipitez-le dans le sein de l’administrateur. — Bien, monsieur, faisait l’hercule en roulant les boules de ses biceps.

Et aussitôt Jules Laffitte entrait. La chèvre passait le pont, les cornes braquées :

— Mon chroniqueur ? L’avez-vous ? Vite.

Ce disant, il tirait son portefeuille, l’ouvrait, créolement fastueux et ostentatoire, et me montrait des billets de banque, geste qui n’est que de vieux répertoire et qu’il croyait de la plus haute gomme.

Un jour, impatienté par ce Mercadet des Antilles :