Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/234

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auteur avait assisté à la fête, « sans femmes » donnée par Gambetta au Palais-Bourbon. Elle eut un retentissement énorme et d’autant plus que cet animal de Jules Laffitte, me prenant littéralement au mot, l’avait signé d’une vignette représentant un homme du monde en frac, qui tenait d’une main un claque et de l’autre un loup dont il se masquait les yeux et le visage.

Ranc, que je ne connaissais pas encore et qui devint plus tard l’un de mes meilleurs amis, était le leader politique du Voltaire, et son premier-pariste, pour en créer le mot. À la lecture de la rigolade irrespectueuse où le nouveau venu parlait de la garçonnière de Marianne, il avait bondi chez le directeur et lui avait fait une scène épouvantable, à laquelle le pauvre Jules Laffitte n’avait su que répondre, car non seulement il n’avait pas lu la copie, prise les yeux fermés de ma main, mais encore il n’avait pu révéler à Ranc le nom de son auteur qu’il ignorait lui-même absolument.

Il accourut. D’une part il était chargé des imprécations de Ranc, et, de l’autre, épanoui par la trouvaille de « son » chroniqueur, il tournait de la chèvre à l’âne de Balaam. — Vous m’aviez juré qu’il était républicain ! gémissait-il. — Oui, comme Voltaire. — Enfin, qui est-ce ? — Je vous le dirai un jour ou l’autre, si nous continuons. Continuons-nous ? — Quand je pense que j’allais cribler Paris d’affiches ! On n’aurait vu sur les murs que l’homme au masque. Tant pis, dites-lui de vous envoyer le deuxième article. Pourvu qu’il soit aussi drôle que le premier.

Ce fut alors que commença cette comédie de deux mois dont le souvenir est une des joies de ma vie et