Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/238

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Non seulement la presse nouvelle n’a plus de place en ses colonnes pour la causerie des gens d’esprit et des monologuistes de l’en-tête, mais encore la race attristée, déconcertée par le chambardement des mœurs, des idées, de tout, ne semble plus fournir de spécimens au type ethnique ni de petits-fils à Voltaire. Rares déjà il y a vingt-cinq ans, plus rares même que les poètes, les chroniqueurs sont à présent paléontologiques. Demain ils demanderont leur Cuvier.

Que le chroniqueur soit désormais inutile, je me le dissimule moins que personne. Il suffit pour s’en convaincre de voir ce qu’est devenu ce boulevard dont il était l’aborigène, voire le truchement. Cent pas sur l’asphalte, du carrefour Drouot à la place de l’Opéra, en rythment l’oraison funèbre. Sunt lacrymæ rerum. Tout est fini pour les musards. Le mail est une artère. On y marche !…

Marcher là !… Et même on y court !… Oh ! courir sur les boulevards ! C’est presque un sacrilège !…

De mon temps, on y déambulait à peine. C’est à peu près comme si l’agence Cook installait un railway dans le défilé des Thermopyles.

Il est trop évident que le chroniqueur serait là-dedans comme un fifre dans un ouragan. Aussi Paris n’en fait-il plus et pour cause, on n’entendrait pas le fifre. Plus de fonction, plus d’organe. Salut, Darwin.

Tel est l’état des choses.

Ce n’est pas cependant que les journaux à panache littéraire aient complètement renoncé au divertissement de plus en plus nécessaire que des propos spirituels apportent aux débats fastidieux dont la politique les encombre. L’information elle-même, si multiple