Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/290

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bouleaux blancs et de trembles légers, aériens et mobiles, où s’égosillent tous les oiseaux chanteurs de la Neustrie. Semez entre ces rideaux lumineux une poignée de chaumes d’or fleuri, reliés entre eux par des passerelles de bois rustiques, cernez l’oasis par un réseau de sentes brunes, de haies d’églantiers sauvages formant clôture, et écoutez de là parmi le rataplan des moulins, le mugissement de la mer irritée dans les cavernes des falaises voisines. J’ai composé Le Nom dans ce coin de paradis.

Il y avait encore à Veules, à cette époque, de ces fermes domaniales que, dès avant la Révolution, les riches paysans dressaient face à face aux gentilhommières des nobles seigneurs, et où ils leur tenaient tête, le sac d’écus au poing. Parmi tous les reproches que l’on fit à ma pièce, celui d’avoir inventé le fermier millionnaire qu’on y voit et imaginé la métairie castelliforme où il habite, fut le commun cheval de bataille des lanciers de la critique. Seul, dans les Débats, J.-J. Weiss prit à ce sujet ma défense. Sans doute il avait voyagé. Non seulement ces fermes hautaines existaient dans toutes nos provinces, mais elles y sont nombreuses encore, en Normandie surtout. Celle qui me servit de modèle, dressait dans la rue principale du bourg son corps de bâtiment en pierres de taille flanqué de deux tourelles en poivrières et troué d’une énorme porte cintrée où les charrettes de foin passaient à l’aise et sans toucher les bornes. Autour de la cour intérieure, pavée de grès, rectangulaire, et que trente de ces charrettes n’eussent point remplie, communs, granges, écuries, celliers et pavillons bourgeois, dessinaient un habitacle complet pour une famille patriarcale de quatre