Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/289

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— et c’est encore — un vieux moulin abandonné planté au centre de la grève, et qui éperonné d’un épi drapé de floraison marine, luttait contre le double assaut de la marée et des galets, comme un chevalier de légende entre la cavalerie et les troupes de pied, pour l’honneur décoratif. La roue de ce moulin enchantait les peintres. Immobile et rouillée (les vieillards du pays ne se souvenaient pas de l’avoir vu tourner), elle en rendait, non seulement pour la vétusté à la machine de Marly, mais à tout l’art d’Alphand pour le « vain » et l’ergo glu de son existence sans rôle. Sa seule raison d’être visible était de faire bon accueil à la petite rivière qui, autrefois avait cascadé dans sa turbine, et d’argenter la mousseline azurée de sa cataracte lilliputienne.

Tout le charme de Veules se résumait dans ce rû, ou gave, d’ailleurs innommé, d’une limpidité de cristal de roche, encaissé de berges lierreuses, et que des canards sillonnaient de leurs régates multicolores. De cent mètres en cent mètres, douze autres moulins échelonnés en animaient le cours et y foulonnaient le colza, à bruit régulier de fléaux. On le remontait jusqu’à sa source, en un quart d’heure, par une sente sinueuse, ombragée de grands hêtres, dessinée à flanc de colline et qui, vingt-cinq ans plus tard devait être le promenoir hygiénique de Victor Hugo ; puis, deux ponts de pierres passés, on arrivait à une cressonnière dont les plus grands charmeurs de la palette, fut-ce Corot lui-même, n’ont pas rêvé la grâce élyséenne. C’est là que naît la petite Bandusie. Elle sourd invisible, à fleur de terre, comme une souris sort de son trou, et s’épand tout de suite en nappe d’émeraude sous une voûte de