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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/275

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tion, ôtez l’r et vous avez évolution, c’est Proudhon qui le remarque. Les faits les plus extravagants deviennent normaux par cela seul qu’ils sont accomplis ; on les appelle alors des faits acquis, et on table dessus pour ratiociner jusqu’au prochain démenti jeté aux sages par d’autres événements extraordinaires. Brutus assassinant César sous la statue de Pompée, en plein Sénat, est monstrueux ou héroïque, au choix, selon l’opinion qu’on a de l’art de gouverner les hommes. Voici mon fils Léon qui est peintre d’histoire. S’il traite le sujet à sa manière, son Brutus aura le geste d’un sacrificateur auguste, prêtre de la liberté. Si c’est moi, tout l’intérêt du tableau se portera sur les sénateurs et l’expression diverse de leurs sentiments. Nous serons dans la vérité tous les deux, si la peinture est bonne, car tout est là, la peinture est-elle bonne ? Il n’existe que la peinture. Vive la peinture, messieurs !…

— Et les dominos, tu oublies les dominos, Glaize, interjetait la chère patronne, et elle en versait un jeu devant lui.

Il les touillait, frénétiquement comme l’avare fricasse son or, et les parties s’enchaînaient interminablement, tueuses de temps et de soucis

Il n’y avait qu’un rival sérieux, et c’était Kæmmerer, flegmatique Néerlandais, méticuleux et coordonné, qui se targuait de n’avoir jamais gardé un double-six et le passait, en effet, comme une muscade. La maman, éternellement distraite, ne cessait ou de manquer son tour ou de le devancer.

— Et c’est comme ça depuis quarante ans, s’éplorait comiquement le philosophe.

Léon était embarrassé. L’embarras de Léon aux