Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/305

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antagonistes et le déjeuner dînatoire qui, grâce aux dieux favorables, eut lieu dans le jardin, ne donna lieu qu’à de joyeuses libations, suivies de rondes nuptiales, où tous les « Place aux Jeunes » des Ternes se signalèrent bons corybantes. Théophile Gautier, enchanté de tant d’allégresse, voulut à son tour payer tribut à l’hyménée. Il dansa le « pas du créancier », dont il était l’auteur, et qui était bien la gigue la plus drolatique qu’on pût imaginer. Il en avait d’ailleurs transmis la tradition à Gustave Flaubert, qui en a emporté le rite dans la tombe, avec bien d’autres, hélas ! que l’on sait.

Avant le départ, Pierre Lanfrey, qui n’avait pas desserré les dents, même pour boire, demanda néanmoins à être présenté au maître d’Émaux et Camées.

— Je veux bien, fit celui-ci au jeune éditeur qui désirait rompre la glace, mais qu’est-ce qu’il faut que je lui dise ?

— Eh bien ! félicitez-le, par exemple.

— De quoi ?

— Il va être nommé ambassadeur en Suisse.

Georges amena donc l’historien au poète, qui lui tendit la main, et de sa voix lente et veloutée :

— J’apprends, monsieur, que vous allez incarner la République athénienne chez les mômiers de Genève. Mes compliments les plus sincères, vous serez là comme chez vous.

Je n’eus pas le plaisir de ramener Théophile Gautier à Neuilly. Nos hôtes avaient pourvu à son retour. Mais, ayant retrouvé Francisque Sarcey à la sortie, je montai à ses côtés sur la vieille diligence et nous fîmes route, en causant, jusqu’à la gare.

— Ce pauvre grand Théo, me disait-il, malgré