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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/310

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promesse de vente que tout sur la terre et dans les cieux marquait du sceau des hypothèses dérisoires.

Le lendemain de l’installation bourgeoise aux confins du monde, ubi defuit orbis, vingt-quatre boulevardiers déjeunaient déjà chez Théo, organisaient un bal champêtre sur la terrasse, accrochaient ses tableaux dans les escaliers, rangeaient ses livres, et, la nuit étant venue, aménageaient le salon en dortoir pour y dormir.

— Il n’y a, disaient-ils, aucune téléga pour traverser les steppes hyrcaniennes de l’avenue de Neuilly et nous ne voulons pas être dévorés par les loups de ton étrange municipe.

Et il en fut ainsi presque tous les jours, car Théophile Gautier était fidèlement aimé, autant pour sa mansuétude olympienne que pour son génie, et Julien Turgan n’avait pas pensé à ceci que s’il n’allait pas à Paris, Paris viendrait à lui. Tout Athènes ainsi peuplait la maison de Socrate.

L’avantage le plus clair que le Maître retira de cet éloignement de la Ville fut une augmentation intempestive de ses frais de voiture, nécessitée par son sacerdoce de critique dramatique. Il dut même en venir, pour l’aller et le retour dans les steppes, à louer au mois une vieille calèche préhistorique, dont les habitués de premières se souviennent encore, et qui était représentée, aux fins de mois, sur la table, par sa pile trébuchante.

Quant au gilet rouge d’Hernani, il continua à rougeoyer dans les brouillards de la Seine, selon le mot mélancolique du doux fataliste :

— Je ne l’ai mis qu’une seule fois et je l’ai porté toute ma vie. Et encore il n’était pas rouge !