Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/410

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char bourbeux et sonore. L’Assommoir même ne me fit pas revenir de l’impression fâcheuse de cette présentation. Je m’en accuse. Il ne fallut rien moins que l’attitude magnifique de l’écrivain dans l’Affaire, et le geste inoubliable par lequel il jeta la plume française dans les balances de la Thémis inique, pour réduire ma raillerie et me décider à saluer cette fois un grand homme, honneur des Lettres. Il l’est.

La nature marque toujours les gens d’élite d’un signe physique auquel l’observateur ne se trompe pas. Émile Zola, qui n’était point beau et dont la carrure massive, quasi ouvrière, évoquait l’image universitaire du Bos suetus aratro appliquée à Bossuet, avait une voix charmante dont le timbre sonnait comme une cloche d’argent. Si on l’a gardée dans le phonographe (et c’est une précaution que l’on devrait prendre pour les personnages célèbres), on jugera mieux, à l’ouïr à travers le temps, de l’étonnement où elle nous plongea lorsque nous l’entendîmes se réclamer, séance tenante, d’une situation prépondérante que Balzac ne lui cédait pas encore et que lui disputaient les Goncourt.

Il préparait alors cette série de Rougon-Macquart, dont le premier volume, La Fortune des Rougon, venait de paraître, et il expliquait, de sa voix ténorisante, qu’il avait résolu d’être le Suétone du Second Empire. Théophile Gautier avait lu ce premier volume, sur la recommandation même d’Edmond de Goncourt, et il avait été frappé de sa puissance de réalisation.

— Il ne tient pas encore son style, qui est enchevêtré et plein de lianes, mais c’est un Maître qui