Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/412

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fallait occuper le temps et, quoique déjà bien malade, l’hôte n’en laissait à personne pour la besogne de causerie. Tous les mémorialistes s’accordent à lui décerner la palme et la couronne de cet art, aujourd’hui disparu de la société française, et tué par le jeu ou par la musique. Gautier causeur était encore supérieur peut-être au Gautier styliste, et, quand débridé du caveçon, il pouvait cavalcader à travers la forêt des idées, des mots, des images, il ressemblait à quelque François Rabelais perçant son Alcofribas Nasier et dévoilant toutes les énigmes du Pantagruel.

Le tableau de l’arrivage des maraîchers par le pont de Neuilly, leur défilé sur l’avenue au lever du jour en caravane, ce tableau de Paris enfin que le naturaliste avait besoin de voir pour le rendre, ne suffisait-il pas aux poètes de l’imaginer pour le réaliser ? Est-ce que Victor Hugo avait vu la Cour des Miracles sous Louis XI ? L’idée qu’on se faisait de Balzac était à contresens de la vérité. Balzac ne « regardait » jamais. On n’a pas trouvé une note dans ses papiers. Il avait tout en lui, dans sa chambre noire. Copier, c’est trahir, soit le peintre, soit le modèle. Le père Ingres demandait dix ans pour faire un portrait ressemblant, car les portraits ne ressemblent que quand on est mort.

— La nature ne pose pas. Elle apparaît à chaque minute et s’éclipse. Entre deux pipes de Corot l’arbre a changé avec le vent. Pour ce qui est des paysages littéraires, dites-moi ce qu’il reste des instantanés de Sébastien Mercier ? Où est Restif de la Bretonne qui photographiait avant l’invention de Daguerre ? Deux vers de l’oncle Beuve, et j’ai Paris. Je vais vous la