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Puis la cloche tintait chez Fournaize et l’on se rabattait sur les tablées. Celle que présidait Sarcey n’avait jamais assez de couverts, et je dois à l’histoire d’attester que, le soir de la première invitation, je dus partager galamment le mien, plus la chaise, avec une nymphe outrageusement patchoulisée, venue par le dernier train dans une tapissière. Per Jovem et per Minervam !

On en a, à la fois, trop dit et pas assez sur la facilité de mœurs, quasi hygiéniques, à laquelle ce travailleur acharné, sanguin et de forte race, demandait le repos de son surmenage. Certes, il laissait les grandes passions et leurs tortures aux poètes, et je crois bien qu’il n’eût cherché dans Le Lac de Lamartine que des grenouilles. Mais n’est-ce pas être vertueux que d’obéir à la nature et imagine-t-on le Jupiter taurique perdant son temps à conter fleurette à Europe ?

Les dîners chez Fournaize étaient joyeux, cela va sans dire, bruyants, libres de propos, et abondants en noces sans maire, suivies de leurs divorces sans procès, comme il sied entre débardeurs devant qui coule la rivière où les élégiaques voient l’image de la vie ; mais c’était la faute des jolis vins d’abord, de la cave, et de la nuit trop hâtive ensuite, si les canotiers se trompaient quelquefois de canot et de canotière, et M. de Montyon lui-même ne s’y fût pas reconnu au clair de lune.

À l’heure du dessert, à l’instigation de Me Papillon, perfide compère, mon répétiteur des Ternes se levait pour chanter, comme la Georgina de Weldon du poème de Musset. Il savait son Béranger par cœur et il était dévot à sa Lisette. Sarcey chantait