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qu’il était allé chercher lui-même au faubourg Saint-Antoine, et, pour le reste, la jeune épousée y avait transporté ses effets et bibelots de jeune fille. Et c’était tout, mais en fallait-il davantage ? Le palais était en nous.

Le soir des obsèques nous n’y voulûmes pas rentrer. Hélas, il n’était que trop rompu le pacte de la cohabitation. Les sœurs du poète s’étaient elles-mêmes sauvées à Montrouge, où elles possédaient une maison héréditaire, elles y avaient emporté les chats, lares du logis ; la tente vide claquait des toiles au vent d’automne.

Nous trouvâmes d’abord asile à Villiers-sur-Marne, où la mère des deux filles du maître s’était retirée, depuis longtemps, en un petit pavillon, construit d’ailleurs par Charles Garnier ; elle s’y adonnait à la sériciculture. Tous les murs étaient revêtus de casiers à vers à soie, qui y opéraient leur lente métamorphose. Comme le jardin d’alentour abondait en mûriers, Ernesta Grisi était parvenue à tirer un petit revenu de cet élevage. Au demeurant, elle avait des poules, des lapins, des pigeons, et elle terminait en fermière une vie commencée sous le lustre du Théâtre-Italien à la grande époque de Rubini et Lablache.

Cette bonne et naïve créature avait été douée d’un contralto extraordinaire. Je la décidais de temps en temps à chanter pour nous, à chambre close, et je me demande encore comment de toute cette famille célèbre des Grisi, elle fut la seule qui n’attela point la fortune ? Je l’avais conquise à mes amours par ma ressemblance, disait-elle, avec Mario, son noble cousin, duc de Candia, et l’époux morganatique de Julia Grisi. Lorsque pour me taquiner Théophile