Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/101

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Stupéfait de ce système de conciergerie dont il riait d’ailleurs de bon cœur, mais sans pouvoir, selon son geste familier, se taper les cuisses, il traversa toute la terrasse et vint à nous en s’excusant de ne pas avoir sept bras comme Bouddha, les deux étant occupés, pour tirer son chapeau et saluer les dames.

Rochefort, fort épris de peinture, ainsi qu’on sait, avait été le premier acquéreur d’une toile d’Émile Pinchart, et quand l’artiste apprit qu’il était à Genève, à la suite de son évasion de Nouméa, il était allé lui présenter ses devoirs. L’amateur lui rendait sa politesse. Il s’ensuivit des relations que l’exil, ou plutôt la fréquentation des co-exilés, lui fit agréables sans doute, car les deux lions de garde n’eurent plus à encadrer sa bienvenue. — Ce Napoléon Gaillard est assurément un brave communard et j’ai été fier de retrouver ici le Vauban de nos barricades. Mais il y a des moments où l’on n’est pas fâché, même dans la patrie de Jean-Jacques, de causer avec d’autres personnages que des cordonniers libertaires. — Ça repose de l’histoire, répondais-je, et avisé de son « talon d’Achille », je me mettais à touiller des dominos.

Le bruit des dominos touillés désarme le sagittaire et nous avons posé de beaux doubles-six à Saint-Jean tandis que la tante Carlotta brodait, dans un coin, au tambour, ces tapisseries à fleurs interminables dont elle était la Pénélope.

La situation cependant était assez fausse en dépit de l’esprit du prince des boulevardiers. Il publiait chaque semaine, avec Olivier Pain, à Genève, une nouvelle Lanterne, où sa moindre aménité pour