Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/106

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départ, dans la chambrette du « piranèse », passe tous les rêves de la royale tapissière de Bayeux et ils auraient suffi à la texture des soixante-quinze mètres de cette lice célèbre.

Carlotta Grisi eut, elle-même, rendu des points à la Pénélope de Guillaume le Conquérant pour le don de persévérance dans l’art de la broderie à l’aiguille. Je ne l’ai jamais vue pour ainsi dire que penchée sur le canevas et je ne l’évoque pas autrement. Je n’ignore pas que la qualité de ménagère est assez usuelle chez les filles de Terpsichore, et que le corps de ballet ne tricote pas que des jambes. Il est des soirs où le foyer de la danse ressemble beaucoup plus à un atelier d’ouvrières à la tâche qu’à un gymnase de corybantes. Les collégiens, les provinciaux et les nouveaux ministres s’abusent à l’envi sur le gavarnisme des chorégraphes d’État. Il est aux trois quarts légendaire. On risque d’y perdre le bouquet entre des bas à repriser et parfois des layettes. L’une des rimes à vertu c’est tutu, et elles sont rares. Mais chez « la dame aux yeux de violette » je ne sais pourquoi le contraste était plus saisissant, ou me semblait tel, à cause de l’idée que je m’étais faite sans doute de la muse d’après le poète. J’avais la sensation d’une prise de voile, de quelque chose comme d’une La Vallière aux Carmélites, sans Bossuet, bien entendu et moins l’homélie, rebelle à la comparaison. Cette petite sexagénaire, assise au coin de la fenêtre, silencieuse, pensive, et piquant obstinément la toile cirée de fleurs et d’oiseaux de laine, elle avait tenu Paris au bout de son orteil. Il n’était princes, hauts traitants, que dis-je, maîtres de la terre qui n’eussent jeté leurs titres, leur or,