Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/109

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— J’ai pu causer parfois, seul à seule, sous les marronniers, avec la dame aux yeux de violette, du maître à qui elle avait inspiré un amour tellement profond qu’il domine son œuvre et lui arracha son dernier soupir. Lorsque nous en devisions à voix basse, comme dans une chapelle en ruines, elle se flattait d’en avoir été l’objet mais s’en étonnait davantage, j’allais écrire qu’elle « n’en revenait pas ». Personne vraiment n’eut l’âme moins romantique que Giselle, Willi du Hartz rêvée par deux poètes et réalisée par une petite bourgeoise balzacienne de la maison du Chat-qui-Pelote. Ce qui la touchait le plus, c’était le souvenir des ouvrages qu’il avait écrits, non pas sur elle, mais pour elle, et qui lui avaient valu les beaux triomphes de sa carrière si prématurément terminée. Pour le reste, elle n’en gardait que l’émotion coquettement pudique d’un ami trop empressé qui s’était trompé d’autel et avait distraitement porté sur le sien des fleurs destinées à un autre. Elle ne croyait encore qu’à cette méprise. J’ai vu là combien il est sujet à caution, l’axiome physiologique qu’aucune femme ne se trompe à l’amour qu’elle inspire, puisque les dernières lettres qu’il traça d’une main mourante sont celles qui forment le nom de Carlotta, la dame aux yeux de violette.