Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/12

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l’un ou l’autre. Sous les traits toujours souriants d’Armand Silvestre, la Providence vint à notre aide.

— Démembrons l’armoire à glace ! Les trois cents Grecs de Léonidas n’allaient que un par un dans le défilé des Thermopyles ! — L’exemple était en effet décisif. Mais quand elle fut démembrée, la belle armoire, il fallut encore la découronner de sa corniche, elle ne se logeait pas sous le plafond. Le casque de Léonidas dépassait la voûte des Thermopyles.

L’appoint de l’ameublement fut fait par le buffet-toilette où Alexandre Grand, pendant le siège, empilait les biscottes de pain grillé, et enfin par cette table à rallonges, sans rallonges, qui avait été tant d’années la table ronde de la bohème ternoise. Quant aux chaises…

— Est-ce que vous n’avez pas de chaises, fit Catulle ?

— Nous en avions à Neuilly, rougîmes-nous, mais elles n’étaient pas à nous, on nous les prêtait, nous les avons laissées à l’héritage.

Les deux poètes s’accordèrent pour qualifier de sublime le trait de probité courante.

— Attendez-moi, ordonna Silvestre.

— Où vas-tu ?

— Là où l’on prime la vertu !

Une demi-heure après, un commissionnaire nous plantait sur les quatre pieds trois superbes chaises Louis XIII ou dignes de l’être, et nous remettait une carte ainsi libellée : — De la part de M. de Montyon, de l’Académie française.

Et le mois suivant Armand nous en envoya trois autres. Il dirigeait alors un journal de théâtre nommé « L’Orchestre » où les réclames étaient payées en