Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/167

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qui l’avait appris par cœur, le débitait d’une voix stentorique en nous bourrelant le dos de coups de poing rythmiques « comme on s’aime en Normandie ».

Le Conquistador lui-même avait une façon de réciter les vers qui, sans être aussi contondante que celle de l’éditeur, ne laissait pas d’être surprenante. Devant la rime de chaque hexamètre, il s’arrêtait comme cabré, se dressait sur la pénultième, et jetait l’assonance en coup de gong. Ça faisait : boum, comme le sac à papier gonflé d’air qui crève, et c’était cette détonation que Lemerre cherchait à rendre par ses pugilats imitatifs, du moins je le suppose.

Je me suis toujours demandé si l’apocalyptique facétie de Stéphane Mallarmé, La Mort de la Pénultième, dont le sens est encore à trouver, n’avait pas trait, tout simplement, à la diction lyrique de Heredia ? Vous connaissez ce cryptographe poétique ou plutôt « edgarpoetique ». Un homme, à grands pas, s’enfuit dans l’ombre, à travers les rues désertes. Il est éperdu, il gémit ; à ses gestes désordonnés on peut le prendre pour l’ombre lamentable de Chappe, l’inventeur de la télégraphie aérienne. Stéphane Mallarmé le suit et l’écoute et pantelle. L’homme crie : « La pénultième est morte ! » Le sang du Parnassien se fige. — Que dit ce fou ? — Et l’autre, tel Oreste flagellé des Euménides, se rue dans les carrefours, et vocifère : Las ! las ? elle est morte, la pauvre pénultième ! Mallarmé frémit et marche. Il est fasciné par cette désespérance dont la calamité passe les autres de toute la tête, comme Calypso ses nymphes. Devant les instituts, que dis-je les odéons, les ministères, les fondations pieuses, le dément san-