Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/184

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— Expressément, et comme il résulte, ajoutai-je sans lâcher la basque, du pli que voici, où il me convie à ses « camps du drap d’or ».

Et sur la suscription de la lettre, le jeune homme amène s’épanouit : — Vous êtes ?… Il m’avait pris pour un « braisilien ».

L’idée que l’on peut se faire, si l’on s’en fait une, d’un salonnier du Journal officiel de la République française répondait peu à celle que je réalisais de ma personne, et il y avait comme on dit, du déchet dans la livraison. Le docteur ès arts manquait en moi de cette autorité qui commande la confiance bourgeoise. Je gardais des ateliers, où j’avais vécu, une esthétique joviale de praticien, assez rétive au verbiage des profès et aussi peu faite que possible pour les ronds de plume de la liturgie critique assermentée. J’étais en outre fort jeune et enclin à ce scepticisme boulevardier dont la blague, selon le mot si drôle du père Renan, est peut-être la fleur du doute cartésien. Mon introducteur avait droit à la méprise.

— Voici le patron, me dit-il en me signalant une porte qui s’ouvrait sous tenture et fit place à… Meissonier.

Je connaissais le maître illustre depuis ce déjeuner de la gaffe, chez Émile Augier, à Croissy, dont je vous ai conté l’extravagance. — Ah ! c’est vous, m’interpella-t-il d’un fausset sévère, je ne suis pas fâché de vous rencontrer. On m’a fait lire votre article du Moniteur sur mon 1807. Quand on se mêle de critique d’art le premier devoir est de ne pas écorcher les noms des peintres. Je signe Meissonier, d’une seule « n ». Le Meissonnier à deux « n » est un orfèvre de Louis XV. Je suis très sensible à ces malveillances