Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/20

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montait encore la garde autour des ruines des Tuileries incendiées et croulant dans l’histoire.

— Tiens, regarde, me dit Monselet, le voici qui vient, comme tous les soirs du reste, regarder où en sont ses tueurs et s’ils ont fait des progrès depuis la veille dans l’art de Gatechair et du jugement de Dieu.

Paul de Cassagnac s’avançait en effet de ce pas traînant et balancé de créole qu’il avait, sanglé comme un demi-solde, et la canne à la main. Il s’arrêta devant la baie vitrée de L’Événement, observa un instant le jeu d’épée des escrimeurs et, haussant les épaules, poursuivit son chemin. Ils n’étaient pas encore de force à l’inquiéter.

À la fin cependant cette répétition l’agaça et il voulut passer à la représentation de la pièce. Un abattage formidable du pauvre Edmond Magnier parut un soir dans le Pays et comme la grêle crépite aux vitres, s’abattit sur L’Événement. Camille Farcy était entré chez son directeur l’article développé au poing. Cette fois ça y était, on tuait Cassagnac, n’est-ce pas ? — Parbleu, tuez-le vous-même, si ça vous amuse, avait été la réponse, je vous passe procuration. — Mais le d’Artagnan du bonapartisme refusa toute substitution, c’était la tête du chef qu’il voulait, non d’autre et par une coïncidence déplorable il se trouvait que notre directeur venait d’être appelé précipitamment à Boulogne par une affaire de famille.

Le lendemain le Dante nous fit signer à tous une lettre collective de démission, corroborée par la retraite d’Auguste Dumont et L’Événement restait à Magnier seul. Il continua du reste à paraître. J’y avais tenu deux mois la férule. Villemessant faillit en mourir de rire.