Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cours, le col relevé, le mouchoir sur la bouche, prendre la recette de l’Opéra-Comique. Enfin, ouf, voici les boulevards, où l’air est rare, grâce à Dieu, et c’est comme si tu remettais une carpe dans l’eau, mon bonhomme, à demi frite.

Gustave Claudin était de La Ferté-sous-Jouarre, mais il détestait qu’on le sût. On naît dans les fertés qu’on peut, et Jean Racine tomba du ciel à La Ferté-Milon. Il a pourtant fait Athalie et Les Plaideurs. — Du reste, disait-il, je suis rentré à Paris pendu encore au sein de ma nourrice, et par la diligence, pour ta gouverne. Ma mère s’était trompée de date, voilà tout, ça peut arriver à la plus honnête.

Depuis cette réintégration natale, il n’était jamais sorti, jurait-il, du cercle inscrit par la Comédie-Française, la Librairie Nouvelle, le café Riche et Le Figaro, même pour diriger le journal de province dont on lui confia le char et les guides et qu’il chevauchait par correspondance. Pour le reste tout lui était forêt vierge, odéon et désert lybique, et cela très sincèrement, croyez-le bien et sans la moindre hyperbole. On l’a enterré sous Jouarre, dans sa ferté accidentelle, mais il n’y est pas, il n’y serait pas resté une minute d’éternité, et quand le clairon de Josaphat retentira aux quatre vents, il faudra chercher Claudin dans les fouilles du boulevard des Italiens, du côté droit, sous l’emplacement d’une petite table d’encoignure d’estaminet illustre et dont le nom opposait un contraste si violent à la fortune de ce galant homme.

C’était là, dans ce coin réservé, où il avait son rond et ses cure-dents personnels, qu’il déjeunait depuis quarante ans, pour la somme immuable de deux