Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/25

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aux dernières levées d’armes de la résistance. Qui lui eût dit alors, au pauvre Jean des Figues, que, Tyrtée de la Provence, sa « gueuse parfumée », il en conduirait les fils sur sa lyre à la bataille au rythme de cette ronde joviale sur lequel nous nous reconduisions les uns les autres ? Les filles d’Avignon — sont comme le melon — il en faut trente — pour en avoir un bon. « Une, deux, fais-toi le teindre en bleu, carogne, fais-toi le teindre en bleu ! »

Moins inconsolable que Georges Bizet de l’insuccès de L’Arlésienne, Alphonse Daudet n’en admettait que la cruauté et ne se cachait pas de croire à la revanche. Elle lui fut donnée quelques années plus tard par Porel, à l’Odéon. Mais, au Vaudeville, dès lors il avait un zélateur fidèle, pour qui « le four ne prouvait rien », et qui défendait l’œuvre unguibus et rostro contre le public, la critique et la recette, les trois têtes du Cerbère. Où sont-ils, les directeurs-nés, providentiels, fabuleux, pour qui les fours ne prouvent rien ? Mais où est Montigny, Émile Perrin lui-même, et le Carvalho de ce temps-là ?

Comment Carvalho, d’imprésario musical qu’il était la veille, était-il devenu directeur d’un théâtre d’ordre littéraire et présidait-il aux destinées du Vaudeville ? Voilà ce que personne n’expliquera jamais sur la terre ni dans les cieux. Toujours est-il que, les portes de Paris à peine ouvertes, il fut, d’un bond, du Caire à la Chaussée-d’Antin, où tout de suite il mit L’Arlésienne en répétitions. Carvalho devait tout son crédit directorial à ce flair doublé de chance qui lui avait fait découvrir en 1859 le Faust de Gounod au Théâtre-Lyrique ; mais à la force de l’instinct et de la fortune, il ajoutait celle d’une obstination que