Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/289

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de pouvoir se mesurer à des travaux gigantesques, que nul autre que lui n’eût osé aborder. Mais qu’est-ce que cela, n’est-ce pas, à côté de la science infuse qui distingue nos jeunes maîtres de l’avenir ? Est-ce qu’on apprend à dessiner, à composer, à concevoir et à exécuter ? Est-ce que la nature ne se charge pas de tout faire ? Est-ce qu’on ne naît pas grand homme ?

M. Edmond About a raconté que sa première rencontre avec Baudry eut pour cadre Pompéi ; je ne date la mienne que de l’Opéra en construction. Le peintre y avait alors, sous le toit même et de plain-pied avec les groupes de Millet et de Lequesne, un énorme atelier auquel on arrivait par un escalier de neuf étages ! Dans cet escalier fantastique, Charles Garnier a évidemment voulu lutter avec Piranèse. Quand on commençait à monter cet escalier-là, il fallait recommander son âme à Dieu, car on ne savait pas si on finirait jamais de lever alternativement les pieds. Étant donc parti de bon matin du premier degré, j’arrivai à l’atelier de Baudry vers la tombée de la nuit. Le premier mot que l’artiste me dit en m’ouvrant sa porte hospitalière fut celui-ci : — « N’est-ce pas que ce n’est pas très-haut ? » — Je le regardai avec une stupéfaction écarquillée ! — Et il ajouta : — « Moi, je les monte en sept minutes ! »

Un petit corps de bronze, avec des muscles d’acier, tel est, en effet, le premier aspect sous lequel Baudry m’apparut. Je pensai tout de suite, en le voyant, à ces vers de Musset sur Hassan :

— On eût dit que sa mère
L’avait fait tout petit pour le faire avec soin.

et je demeurai saisi du contraste extraordinaire qu’il