Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/32

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mots, payait comptant et à bourse ouverte. J’entraînai Silvestre à Tortoni où le prince des boulevardiers tenait ses assises. Par une chance providentielle, il avait devant lui à sa table, un petit homme à tête de pierrot, qui prenait une bavaroise au chocolat. C’était Théodore de Banville. Tout de suite, comme bien on pense, nous fûmes à ses côtés, car il était notre maître à tous les deux.

Et Banville causa, et Scholl se tut.

En sortant de là nous avions notre personnage. Il n’y avait plus qu’à se souvenir. C’est pour cela que nous l’appelâmes : Bandrille.

Le temps des répétitions d’Ange Bosani ma laissé le souvenir d’un travail extravagant que doublaient les péripéties d’une collaboration hyperbolique. Armand venait me prendre régulièrement chez moi, après le déjeuner, « pour que je ne me soustraie pas à mes devoirs », il s’asseyait auprès de moi dans la salle, et, le temps de me retourner, pritt, il avait disparu comme par une trappe. Où était-il ? Mystère. Seulement, à la fin de la journée, il reparaissait, les yeux brillants et me jetait à l’oreille : « Mon cher, elle est charmante, les épaules et le reste !… »

Il n’opposait, à mes reproches, que le sourire désarmant qu’il avait de bon moine au réfectoire. « Que veux-tu ! Je n’y entends goutte, à ton théâtre, et je m’y assomme. Mais je n’ai pas perdu mon temps. J’ai fait un sonnet que je te dédie.

— Sur les épaules ?

— Non, sur le reste. »

Une admiration commune pour Théophile Gautier nous avait unis, Silvestre et moi, et notre fraternité survécut longtemps à la perte de notre maître. Puis