Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/78

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les calembours. Il en risque d’éperdus entre deux bouchées, et Victor Hugo baisse la tête sur son assiette et se recueille pour tenir la joute. Ce n’est pas la rime riche, non mais ça la joue.

« À tout autre mets Victor Hugo préfère les viandes rôties à l’anglaise et saignantes. — Il a encore toutes ses dents, me dit Mme Drouet… Point de café à la fin du repas, mais un petit verre de rhum, qu’il avale d’un trait, comme on paraphe sa signature.

« Il a vraiment l’humeur la plus gaie, et même joviale, du monde, et c’est à tomber des nues de voir combien il diffère de sa légende ; son rire est comme intérieur du reste, il le résorbe, il en avale le bonbon par une espèce de contraction de gorge dont l’effet est irrésistible à cause des oui, oui, oui dont il le caractérise. Et quand il relève la tête, il a l’air de vous dire : Que vous êtes aimable d’être heureux et de vous amuser autour de moi. Les bêtises sont ce qu’il y a de moins bête au monde.

« Monselet le boit du binocle et de temps en temps me raille d’un coup d’œil. Ma surprise égaie aussi ma voisine, la Du Deffand au beau parler, qui me pousse à vider le verre délaissé et m’estime de mon silence. Là-bas, derrière une gerbe de fleurs, Lockroy, qui fut sculpteur, modèle en mie de pain des fantoches pour Georges, doux et grave.

« La conversation tourne. On parle de vers. L’école du bon sens est sur le tapis. Ponsard écope. On lui en attribue d’exorbitantes. C’est le jeu de la maison. Il implique une flatterie à laquelle le maître est sensible. Il demande grâce pour le poète de Gabrielle. — Émile Augier m’est revenu, dit-il.