Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/81

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voyages et qui ne sont pas sorties des caisses d’emballage, sauf celles que j’ai employées à la décoration de ma maison. Aucun de vous n’est venu me voir à Guernesey, et je le regrette, j’aurais été heureux de vous y voir et recevoir. — Et s’adressant à Monselet : — Je vous y aurais montré, mon cher poète, de belles choses du temps passé. Par exemple, dans la galerie, sur la tenture cramoisie du salon rouge les tapisseries de la reine Christine de Suède. Je les ai trouvées à Fontainebleau même. — Avant l’Empire alors, demande malicieusement Monselet, ou après ? — Victor Hugo se met à rire : — Pendant, fait-il.

« Puis il poursuit : — C’est à Venise que j’ai découvert les quatre nègres en bois sculpté, de grandeur naturelle, qui encadrent la haute cheminée du même salon rouge. Ils avaient orné la poupe du Bucentaure et assisté à cent mariages des doges de Venise avec l’Adriatique. À la prise de la ville par Bonaparte, en 1797, la municipalité fit détruire le galion d’or symbolique et les gondoliers s’en partagèrent les débris. C’est de la famille de l’un d’eux que je pus acquérir les quatre nègres magnifiques. Ils réalisent, leurs torchères aux poings, les vers de Lucrèce que vous savez tous par cœur :

Juvenum simulacra per œdes
Lampadas igniferas manibus retinentia dextris.

que j’ai d’ailleurs traduits par ce distique pour la commodité des visiteurs :

On voit dans ma maison, comme chez les Romains,
Des esclaves tenant des lampes dans leurs mains.

« Et il débite le distique d’une voix lente, mesurée