Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/89

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place aux autres. Sans cela on finirait par se toucher les coudes. C’est une loi d’ordre que subissent toutes les planètes. On meurt dans toutes les planètes. L’immortalité est entre toutes, dans l’infini. C’est là qu’a lieu la métamorphose des bons ; car il y a des bons et des mauvais, des élus et des damnés.

Et comme Louis Blanc se récriait : « Oui, des damnés, mon cher Louis Blanc, vous en voyez tous les jours, des damnés, vous en touchez, vous en nourrissez. Les pauvres animaux martyrisés, par exemple. Qu’est-ce qu’ils ont fait pour mériter tant de souffrances ? Ils ont fait quelque chose, n’en doutez pas ; ils expient, sous la main de l’homme, justicier de Dieu, des crimes inconnus. J’ai vu à Guernesey un cheval qui recevait douze cents coups de fouet par jour. Le soir il rentrait dormir, et le matin son supplice recommençait. Je priais pour lui et je demandais à Dieu ce que cet être avait pu faire pour mériter un sort aussi terrible ! Dites-le-moi, si vous le savez.

— Mais alors, objecte Louis Blanc, le petit chien de manchon qui passe sa vie sur les genoux d’une duchesse ?

— Pardon, interrompt Mme Drouet, voudriez-vous l’être ? »

Et l’on s’est séparé sur ce trait charmant.