Aller au contenu

Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

drin ; il s’en écorchait les carpes et métacarpes.

Au bruit de cette musique, assez insolite dans le cabinet grave d’un directeur de périodique, ma rédaction, qui y entrait d’ailleurs sans frapper, et comme au moulin du bon meunier, était accourue, toute coopération cessante. Il n’y avait pas à la présenter au guitariste, dont l’âme voltigeait de Grenade à Séville, et n’avait plus de Pyrénées. — C’est la guitare du journal, fis-je ; elle manquait à l’outillage. Écoutez et vibrez à l’unisson, même ceux qui ont la voix fausse. L’instrument supplée aux dissonances, et pour ce qui est de la mesure, voici Victor Wilder, notre musicographe, il vous battra les contretemps.

Or, ils vibrèrent à l’unisson, quand, tout à coup, l’escalier du hall s’emplit de froufous et de parfums, et une voix d’or fit :

— À la bonne heure, on s’amuse à La Vie Moderne !

C’est ainsi que j’ai connu Sarah Bernhardt.

Amenée par Georges Clairin à l’exposition des cartons d’Ulysse Butin, pour les œuvres de qui il professait une admiration militante, l’illustre comédienne n’avait pu résister au concert hispano-mauresque qu’on entendait du boulevard, et, conduite dans le plus pur protocole des cours par mon noble cousin, Antonin, duc de San Valentino, elle était montée voir dans leur atelier même, ces ouvriers allègres de la Forme et de la Couleur qui bâtissaient un temple d’art, comme Amphion, aux accords de la lyre.

Je serai maintes fois amené à vous parler, par la suite, de cette femme extraordinaire, au destin de déesse, qui allait entraîner dans l’orbe triomphal de son astre, le succès de La Vie Moderne. Pour le