Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/123

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élèves devenus célèbres du vieux Federico de Madrazo, chef de la lignée des peintres de ce nom. Un paysagiste hollandais, Carl Haes, eut aussi sur lui une puissante influence. Il lui apprit « à savoir voir», ce qui est tout en peinture. C’est par ce maître libre qu’il devint le prodigieux visionnaire dont la mémoire chargée de cent mille tableaux, saisis sur le vif dans leur caractère et leur milieu, allait suffire à l’illustration des œuvres les plus variées de la littérature universelle, depuis Cervantes, Victor Hugo, Edgar Poe, Michelet, jusqu’à cette modeste nouvelle, L’Espagnole, par où il me présente amicalement dans sa houppelande à la postérité bibliophilique.

« La nuit à l’heure brune du serein et de la sérénade, je m’en allais avec des camarades étudier d’après nature les jeux de lune aux belles ombres sur les balcons amoureux, ou sous les arcades des venelles tortueuses, pleines de scènes picaresques que l’on n’invente pas. J’en ai quatre-vingt-dix carnets dans mon coffre cordouan, ils sont le secret de mon abondance. J’en ai tiré l’illustration de ce Madrid la nuit de Blasco, qui m’a permis de quitter l’École et de venir à Paris, en 1869. »

À Paris, Daniel Vierge ne connaissait personne. Mais c’était l’année où Mariano Fortuny, son compatriote, révolutionnait les ateliers par l’industrie prestigieuse d’un art où Watteau se mêlait à Meissonier et qui avait tourné la tête à Théophile Gautier lui-même. L’une de ses toiles, le Mariage dans la vicaria de Madrid, exposée chez Goupil, rue Chaptal, venait d’y décrocher la timbale du prix de cent mille francs, maximum de rêve des peintres vivants, où Meissonier, roi de la cote, ne devait atteindre que