Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/193

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vait, parole d’honneur. — Et c’était vrai, du reste.

Sur l’assurance enfin que de Nittis nous attendrait à la gare de Charing Cross, et même qu’il y amènerait Alma-Tadema, installé à Londres depuis longtemps et qui, en sa qualité de Hollandais, augmenterait d’autant nos chances d’intelligibilité, nous partîmes pour l’Angleterre. Je lui faisais moi-même ma première visite. Nous étions tombés providentiellement au départ sur deux bons amis, Charles Monselet et le peintre Feyen-Perrin, qui furent ainsi nos compagnons de route. Feyen-Perrin allait voir son confrère Alphonse Legros et Monselet — comme je l’ai conté dans le deuxième volume de ces Souvenirs — courait manger des huîtres sanglantes chez le proscrit Jules Vallès.

De Paris à Calais, la distance fut pour nous le laps d’un éclat de rire sans fin, c’est-à-dire brève, et les voyageurs purent penser que la compagnie du Nord avait attelé au convoi un atelier roulant de rapins fumistes. Bastien, qui ne s’était encore mobilisé que de Damvillers, son village, à Paris, et de Paris à Damvillers, rugissait de joie aux portières et, à certains paysages qui filaient sous la fumée, et qui « étaient volés à la Lorraine » il voulait tirer la sonnette d’alarme. Monselet avait dû la masquer avec son plaid, un magnifique plaid à carreaux qu’il portait en bandoulière comme un highlander. Je ne sais plus à quelle station un monsieur décoré, d’une cinquantaine d’années, d’apparence paterne, étant monté dans notre compartiment, Bastien s’ingéra de lui monter une scie cabrionesque. — Êtes-vous content de la morue, cette année ? commença-t-il, insidieux. Sera-t-elle meilleure que l’an dernier, la vendrez-