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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/249

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nait d’abandonner, et si je l’avais voulu, il m’aurait flanqué à la politique, où je n’entendais goutte. C’était beaucoup de besogne pour une seule plume, mais alors j’étais jeune et solide et j’avais de chères bouches à nourrir.

Un matin je vis arriver mon Jules Laffitte. Il était très embêté. Tous les journaux annonçaient un « clou » pour le 14 juillet et il venait me demander une idée pour le Voltaire. En fait d’idées de clous, j’avais épuisé toute ma serrurerie à La Vie Moderne, et ma boîte était vide. Il allait s’en retourner bredouille et sans honneur, lorsque, dans ma petite rue solitaire, un orgue de Barbarie se mit à moudre l’insupportable Marseillaise. — Ah ! fis-je, qui nous délivrera de cette scie nationale ! Depuis le temps que le sang impur abreuve nos sillons, ils doivent en être saturés jusqu’à l’épandage. Tenez, Laffitte, offrez cent mille francs et un abonnement d’un an au Voltaire au Rouget, à l’Abbé ou au Leconte de Lisle, qui nous remplacera l’hymne à Barbaroux de cet orgue de barbarie. Le voilà le clou de l’idée avec l’idée du clou, je vous la donne.

— Et je la prends, fut sa réponse, moins les cent mille francs, bien entendu, mais il les gagnera lui-même par l’immense succès de sa chanson. — Qui, il ? — Le poète musicien. — En fait de poète musicien, depuis Orphée, je ne sais que Richard Wagner qui cumule. Cherchez. — J’y vais.

Et il y alla, comme il allait à tout, en Guzman, avaleur d’obstacles.

Deux heures après il me télégraphiait : — « Ai le poète, Jean Richepin. À tantôt. »

Il faut avouer qu’il avait la main heureuse, et que