Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/257

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le jésuite, et je ne me le représentais pas sous des espèces aussi pileuses. « Rodin chez Turquet ? m’exclamai-je, que vient-il y faire ? — C’est pour La Porte de l’Enfer, fit l’élève de Carpeaux », et il me laissa sur cette énigme.

En 1879, l’auteur des Bourgeois de Calais n’avait pas encore écarté de sa route la brume d’obstruction qu’ont d’abord à vaincre tous les maîtres, et, seul, peut-être, Edmond Turquet, un peu guidé par le bon Osbach, voyait-il en cette barbe héroïque le buisson ardent du génie. Auguste Rodin n’avait pas atteint la quarantaine. Visiblement athlétique, piété comme Antée sur le sol, le geste très doux, timide même, le regard à la fois ingénu et visionnaire sous le binocle du myope, des mains larges et affinées de formiste, le front dantesque, large et bas, raviné du sillon vertical qu’y creuse le soc de la pensée, il ressemblait au père François Rude, image lui-même du sapeur légendaire de l’Iliade napoléonienne, et, je le redis, il en doublait la barbe.

On ne l’acceptait guère, dans les ateliers de Vaugirard, que pour praticien consommé, résoluteur des problèmes les plus ardus du métier et virtuose du modelé, sans plus. Tout l’Institut le niait, même Falguière, longtemps, trop longtemps son adversaire militant, et dont il s’est si bellement vengé en nous donnant de lui un buste admirable. Mais à l’avènement d’Edmond Turquet, la lutte battait son plein entre les deux maîtres. Un Saint Jean-Baptiste dans le désert, aujourd’hui au Luxembourg, avait tellement abasourdi, par sa facture prodigieuse, le jury du dernier Salon, qu’il avait accusé l’artiste de l’avoir purement et simplement moulé sur nature. La barbe de