Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/260

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que n’incarnait plus Edmond Turquet, car avec lui elle avait pris le voile, s’éveillait au bruit ; les salons s’ouvrirent, si bien, qu’en 1881, Gambetta désira le connaître. La présentation devait avoir lieu pendant une soirée chez Mme Adam, et l’admirable hôtesse, grande dame de la République, y avait convoqué l’élite de la Ville Lumière, exactement, pour neuf heures. À neuf heures tapant, un homme, correctement fraqué d’ébène et chemisé de neige, entre, le tube au poing, dans les salles fleuries et s’y trouve seul, au milieu de glaces qui reflètent à l’infini sa stupeur. Il consulte sa montre. Ni trop tôt ni trop tard, c’est bien l’heure dite. Personne ? Se-serait-il trompé d’étage ou de maison ? « Pardon, fait-il en s’avançant vers un groupe de valets de pied qui l’observent, mais, Mme Adam, s’il vous plaît, est-ce bien ici, suis-je chez elle ? » Les laquais se consultent, sans répondre. Il y a pour eux un quiproquo, en effet, et un invité n’étale pas, ne peut étaler, n’étala jamais, fût-il un artiste, une barbe de cette frondaison antédiluvienne. Tout à coup, l’un d’eux se frappe le front, il a compris. Il prend un plateau et, le tendant au statuaire : « Vous faites les extras, camarade ? » C’est à la suite de cette soirée que Rodin l’a un peu fauchée ; il ne la porte plus que jusqu’aux genoux, dure concession à l’élégance.

Entre-temps, pour se distraire de La Porte, à laquelle il travaille toujours, et qui est sa toile de Pénélope, mon vieil ami s’amusait à modeler des bustes, non pas, comme le malheureux Osbach, pour solder des ardoises à la crémerie, mais pour taquiner Bonnat, qui a le monopole des têtes illustres. C’est ainsi qu’il caressa longtemps le rêve d’obtenir de Victor