Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/300

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phrases, mais il le reçut. Il ne me parla pas de son associé, il lui passait la jambe et prenait à son compte la décision directoriale. — C’est très bien, me dit-il, et je ne comprends pas la Comédie-Française. Depuis Émile Perrin, elle a des absences littéraires. Vos quatre premiers actes sont presque excellents et m’ont fort captivé. C’est plein de talent et d’une fermeté de main parfaite. Voulez-vous vous résigner à quelques arrangements ? Je serai heureux de jouer un ouvrage qui me plaît aux quatre cinquièmes et qui contient d’aussi réelles qualités. Et à présent, conclut-il en s’asseyant à son bureau, travaillons.

— À quoi ? À la distribution des rôles ?

— Non, à la refonte totale de la pièce.

C’est de ce mot que date et par lui que commence ce que je ne crains pas d’appeler mon martyre théâtral, si c’est être martyrisé que d’en être encore à ne pouvoir atteindre au public sans avoir été charcuté, démembré et tronqué par les bourreaux masqués de la Sainte-Hermandad qui mettent l’écrivain dramatique en état de grâce.

Certes, je ne me présente pas comme une exception dans l’École française et vingt confrères et camarades peuvent arborer des mutilations n’en devant rien aux miennes, car cette École française n’est qu’une vaste Cour des miracles où le plus épargné, manchot, borgne et scalpé, danse sa danse sur une jambe de bois. La vie est ici à ce prix. Mais je crois bien tout de même qu’en revendiquant le titre de Grand Coësre ou de Clopin Trouillefou du négoce, je n’en dépossède pas un plus digne. Devant le firmament étoilé, j’ai le droit de dire que sur les vingt et quelques pièces d’une œuvre qui justifie de six vo-