Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/341

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Merci. Je suis de ceux qui lisent l’avenir dans le passé ! Prévoir, qu’est-ce ? Se souvenir. Je me souviens, c’est tout. Ô mémoire plaisante de ce divin Boileau qu’ici je représente : je me souviens du siècle où l’on faisait des vers comme on met en rêvant sa culotte à l’envers. Les muses, sous Louis, ne sortaient qu’en bannière et la mienne, sans plus, rénove la manière : je rime comme on parle et vous récompensez un art plus simple encor que vous ne le pensez. Vous voulez, supposons, une paire de bottes, pour obéir à des coutumes un peu sottes, telles que de marcher ? Le Richelet au poing, si votre cordonnier conserve votre point, vous écrivez : « Ami, j’ai besoin de chaussures neuves à bouts pointus, en veau. » Confraternellement il vous répond dans le verbe éternel : « Maître, j’ai dans son temps reçu votre honorée. Le veau renchérit, mais demain dans la soirée, je me rendrai chez vous, muni d’échantillons, pour renouer partie avec vos durillons. » — Messieurs, tel est mon art, et, dit-on, mon génie… »

À la vérité, les bibliophiles sont rares qui possèdent le trésor de ce début de palabre académique supprimé de la brochure officielle sur le conseil de Pingard. Ce brave homme s’était aperçu, à la lecture sur épreuves, du piège tendu par le récipiendaire à ses innocents collègues de la Coupole : « Ça sent le vers, avait-il dit, pas beaucoup, mais ça le sent ! » Heureusement, à la mort de Jules Janin, le brouillon total du discours de son poète fut retrouvé dans ses papiers. Il me le léguait sous enveloppe.