Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/71

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se passe en plein jour. Il faudrait certainement le dire sur une pancarte comme dans les pièces shakespeariennes. C’est d’ailleurs une sortie d’arbalétriers se rendant à un concours de tir, bref et tout uniment une réunion de portraits.

La mode, en Hollande, au dix-septième, était à ces réunions de portraits, où la bourgeoisie néerlandaise, riche et orgueilleuse, se mirait dans sa souveraineté communale et son civique cabotinage. Il ne se formait pas une gilde que van der Helst, Franz Hals, Govert Flinck, Mierevelt ou Ravenstein ne fussent chargés d’en immortaliser les membres pour la salle de leurs hôtels. C’est la peinture officielle du temps et du pays. Elle a laissé sur les murailles des toiles aussi innombrables que colossales. Elles devaient être fastueusement rétribuées du reste. Il va sans dire que Rembrandt était le moins favorisé de commandes de ce genre. Il n’en avait pas encore décroché une seule (car « La Leçon d’Anatomie » de La Haye, ne fut qu’un ex-voto de reconnaissance à son ami le docteur Tulp), lorsque le capitaine Franz Banning Cock s’ingéra de s’adresser au « peintre fou » pour consacrer la gloire des gens d’arbalète dont il portait la bannière.

Fou, Rembrandt l’était assurément, de douleur d’abord, car sa chère Saskia venait de lui mourir entre les bras. Puis fou de lumière, comme l’aigle de soleil, et résolu à se colleter corps à corps avec l’astre de la vie. Je pense que lorsque, dans la « doëlen » des arbalétriers, le capitaine le mit en présence des vingt-trois modèles qu’il lui fallait portraire, et ressemblants encore, il conçut tout de suite le plan sauveur de sacrifier ces magots bataves