Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/75

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fante, sort du creuset d’un chercheur de pierre philosophale. L’homme en rouge et l’homme en noir qui l’encadrent ne sont ni noir ni rouge et leurs tonalités échappent à la rétine. Il y a dans l’opacité, comme vitrée, des fonds, des regards qui luisent, des reflets perdus, des lueurs évanescentes qui dansent comme des feux follets. Ni heure, ni jour, ni temps. Comment cette immatérialité, si précise, est-elle obtenue, on en jette depuis deux cent trente-cinq ans sa langue aux chiens ; mais quand on quitte le tableau des yeux, on est aveugle.

S’il devenait nécessaire de conserver par une copie l’image de « La Ronde de nuit » je me demande qui d’entre les grands « cuisiniers » de la pâte colorée on pourrait charger de la besogne ? Antoine Voblon, Léon Bonnat ? Je cherche. Mais non, la transcription est impossible et, du temps même de Rembrandt, avant la patine biséculaire, aucun des élèves du maître n’osa s’attaquer, même sous ses yeux, à la besogne. C’est comme si un poète italien tentait d’ajouter un chant à L’Enfer du Dante, un musicien de compléter une pièce inachevée de Beethoven, un dramaturge d’en ajouter à Shakespeare, mieux encore au vieil Eschyle.

Ce satané Kæmmerer avait raison, « La Ronde », et beaucoup plus que « Les Syndics des drapiers » est la pierre de touche de la critique d’art. Mais quelle obsession elle vous laisse ! En quelque lieu qu’on aille ensuite dans Amsterdam c’est sous la bannière du capitaine Banning Cock que l’on marche, au pas de ses arbalétriers fantasmagoriques, au rythme du tambour d’apocalypse. La petite infante vous surgit entre les jambes avec son coq énigma-