Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/104

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causerie était tombé sur cette Nuit Bergamasque qui avait lancé Antoine et son Théâtre Libre, Porel me révéla le secret de son refus. — C’est votre écriture, me conta-t-il, qui, depuis Le Nom m’était familière. Je l’aurais reconnue entre mille. — Mais la copie présentée par Cadet était à la machine. — Parfaitement, sauf que, à la dernière scène, vous aviez rectifié de votre main un vers faussé par le copiste. Il n’y avait plus à se méprendre, la rature vous démasquait. On ne saurait songer à tout, n’est-ce pas ?

— Si, fis-je, mais on n’ose.

J’avais, tant la vie nous emporte, oublié mon essai de vers comique, et, Mazeppa de la copie ligoté au cheval, je m’enfonçais dans les steppes journalistiques, lorsque je liai connaissance avec Edmond Gondinet, l’un des hommes les plus bienveillants qu’il m’ait été donné de rencontrer en ce monde. Je ne sais qui l’avait mis au fait de ma nouvelle mésaventure, et peut-être était-ce Cadet lui-même. Toujours est-il qu’un matin, deux messieurs, l’un gras et l’autre maigre, se firent annoncer dans mes lambris. J’avais lu sur leurs cartes : Briet et Delcroix, directeurs du théâtre du Palais-Royal. — Vous devez vous tromper, saluai-je, je suis l’auteur de Le Nom. — Ils me jurèrent qu’ils en étaient pertinemment instruits et qu’ayant appris d’Edmond Gondinet que Caliban et moi étions le même homme, ils venaient, de sa part, me demander une pièce en vers qui, seule, assuraient-ils, pouvait sauver leur malheureux théâtre et le désenguignonner. — La charge était de haute fumisterie. Désenguignonner un théâtre par une pièce en vers, cela ne devait se voir que longtemps plus tard, à la Porte-Saint-Martin, mais le Palais-Royal, cela