Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/124

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du « vers comique » entraîne en effet celle de la Poésie comique, et le siècle dépourvu de Poésie comique est un fichu siècle, un siècle où l’on s’ennuie, un siècle à coucher dehors — le nôtre.

Or, dans l’impossibilité à laquelle on est réduit de s’évader hors de ce siècle de misère sans tomber prématurément à une éternité qui, pour mon compte, ne me dit rien de bon (et vous ?), et désireux cependant de savoir comment nos aïeux riaient là où nous ne rions plus, on en arrive à agir avec son temps et ses contemporains comme si ces contemporains n’étaient pas les vôtres ; ce temps est le temps où l’on vit, et où l’on se procure l’illusion d’écrire La Nuit Bergamasque.

Illusion bien gratuite et complète ! Jamais, je n’ai eu l’idée, l’espoir, le soupçon même que cet ouvrage dût voir les trente-six chandelles de la rampe. Je n’imaginais même pas qu’il pût être publié. En le composant, il y a trois automnes, sur ma petite grève bretonne, je m’abandonnais aux délices de l’inédit irrévocable, aux voluptés exquises du posthume volontaire. Ceux qui cherchent des sensations raffinées ont tort de négliger celle-là. Aucune jouissance n’est comparable à cette certitude, où l’on s’ancre, de n’être ni lu, ni entendu, ni représenté, ni édité, ni jugé, d’éviter le public et la critique, et de travailler pour un roi de Prusse dont le Berlin n’est pas dans ce monde. Oh ! l’inoubliable bon mois de nirvana littéraire !

Hélas ! ils sont venus ceux qui ne devaient pas venir. Tout est fini ! La Nuit Bergamasque éditée ! que dis-je ? représentée ! ! ! D’autres que moi connaîtront le sinistre Œnobarbe, son jardin de citrouilles,