Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/141

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roi, et vous en admirez les institutions. En outre vous y retrouvez madame votre mère, bien portante, et ravie de l’hospitalité dont elle jouit. Le bonheur est là. Tiens, parbleu ! Sans compter un tas de jolies filles, faciles comme tout, et accoutumées aux rois par l’usage des réussites. Drelin, drelin. C’est un télégramme. Le vieux monsieur vous mande en toute hâte pour le fameux mélange. L’Espagne n’a plus de Bourbon, et elle en veut. L’eau bout.

« Vous sautez dans le train de sept heures cinquante et vingt-quatre heures après vous exercez votre désolant métier, votre fonction navrante, votre art de paître les lièvres en fuite. Autre révolution. Les vitres pètent. Il faut fuir encore. Non pas. Un roi voisin vous fait dire que si vous consentez à insulter le pays où se goberge madame votre mère, il se charge de vous maintenir dans votre sinécure. Le sang ne vous fait qu’un tour. Pourquoi insulter ce pays bienveillant et hospitalier, où tous les siens ont été chaleureusement reçus et vivent libres et contents ? Le vieux monsieur surgit, un doigt sur la bouche, et il vous emmène. Vous voilà chez le roi voisin, vieillard chrétien, bardé de fer. Buvons, dit le vieillard, à la ruine du peuple qui héberge votre mère et tous les vôtres. Et vous y buvez. Ah ! si j’étais le roi d’Espagne !… Et le vieillard vous incorpore dans ses régiments, et vous endossez l’uniforme de vassalité et d’ingratitude. Quel métier ! quel affreux métier ! Ô jeune sire, que je vous plains ! Tout cela serait-il arrivé, si vous étiez simple professeur d’espagnol à Genève, quai du Mont-Blanc ?

« Il s’agit maintenant de venir embrasser maman. Le voilà, le hic. Avec l’inconscience du jeune âge,