Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/143

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Dieu. Celle même de tirer de ces épreuves est assez controversable, si l’on s’en rapporte aux aèdes érotiques qui la couvrent d’autant d’imprécations que d’éloges lyriques. Mais il y a une allégresse sûre et qu’on peut se payer à peu de frais puisqu’il n’y faut qu’une rame ou deux de papier, une bouteille d’encre de petite vertu et un calame, et puis voici la recette.

Vous appelez votre bonne et vous lui tenez environ ce langage : « Marie, à partir de tout à l’heure, je n’y suis, pendant un mois, deux mois, trois peut-être, pour âme qui vive sur la terre, cette âme fut-elle chevillée au corps d’un créancier, que dis-je, d’un ange qui m’apporterait le gros lot d’un million dont la menace est ce que je crains le plus en ce moment. Comprenez-moi bien, ma servante, je m’abstrais des contingences. Tout en y demeurant, je quitte la planète. Je n’y vivrai plus qu’en rêve, et cela, non seulement du lever du soleil à celui de la lune, mais encore et souventes fois, du lever de la lune à l’aube rose. Quelque bruit que vous entendiez dans ma chambre, fût-ce celui de la lyre éolienne, des cris inarticulés, des soupirs, des jurons même, ne montez pas, n’entrez pas, car vous recevriez à la tête plus d’in-folios que le glorieux saint Étienne, de lapidaire mémoire, n’écopa de cailloux pendant son martyre. De temps en temps, à des heures indécises, je vous aviserai par un coup de talon sonore sur le parquet, que j’éprouve l’un ou l’autre des trois besoins vitaux de manger, de boire ou de fumer une pipe, et vous me glisserez sous la porte de quoi les satisfaire. Adieu, Marie, portez-vous bien et priez pour moi à la messe, quoique ce soit tout à fait inutile puisque je vais en paradis. »