Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leur poète, c’était un miracle inconnu, une apparition, du pur surnaturel. Il me fit peur. — Est-ce à l’œil ? m’écriai-je. — Au contraire, fut sa bouleversante réponse. À demi terrifié par l’aventure hoffmannesque, et seul avec un homme résolu qui paraissait ne pas devoir reculer devant le crime éditorial d’acheter des vers à un poète et de les lui payer, je m’étais mis à courir en rond autour de ma table et je me rapprochais de la sonnette d’alarme. — Je vous fatiguerai, me criait-il. Cédez et faites votre prix. — Cet animal de Brésilien se vengeait de mon refus de la forêt de caoutchouc aux vingt-cinq hectares de palissades.

Le bon Frinzine emporta sous son bras le manuscrit encore tout illustré du papier de réception de Sarah, et il en fit un quarto prodigieux, digne des plus beaux livres du seizième siècle, sur des papiers immarcescibles. Il y eut, en sus des hollandes, des chines, des japons impériaux, des vélins et des parchemins, un exemplaire sur « peau de bourgeois » qui court le monde et qui, si on le retrouve, sera le monument de la librairie lyrique au dix-neuvième. Auguste Rodin dessina deux hors-texte pour l’ouvrage. Henri Lefort grava un portrait de ma tête stupéfaite. Santa Anna Néry voulait qu’on le remplaçât par un topo, coupe et élévation de mes plantes idiosyncrasiques, « clefs du poème », disait-il. Raoul Pugno et Emmanuel Chabrier bémolisèrent et chérubinisèrent les airs abrupts sur lesquels je leur chantais les chansons qui l’agrémentent, et Théodore de Banville écrivit la préface.

Fameuse et terrible préface, vous dis-je, qui me brouilla mortellement, ou peu s’en faut, avec bien