Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/160

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Il paraît d’ailleurs que le génial M. Canard a été embêté par Anastasie, tout comme un autre. Il a dû, par ordre, supprimer nombre de personnages de son mystère. Dans le défilé satirique des damnés de Georges, d’assez vertes leçons étaient données, par mode de symboles, aux puissants de la politique. L’auteur suivait de près la vie contemporaine et lui marchait même sur les talons. Le succès grandissant de cette revue macabre, aux éléments mobiles et presque quotidiens, a fait peur à Marianne, moins libérale en cela que nos rois, et plus bête, peut-être. Il y a des coupures dans l’œuvre, sensibles d’ailleurs, car elle est établie sur un plan superbe, d’une unité philosophique et d’un intérêt d’art également considérables. Paul Arène est inconsolable de la perte de certains enfourchements de « carottiers » qui, selon lui, n’en laissaient rien aux Châtiments. — Ils donnaient toute sa valeur philosophique, me dit-il, à l’immobilité allégorique de l’Avocat et du Juge, personnages muets.

Pour les crimes passionnels ou autres dont le genre appelle la sanction tumultuaire des foules, maître Canard en est réduit par la Censure à la rôtissade de Mme Belladone, en italien : Belle Dame, c’est dire : Mme Lafarge. C’est presque aussi vieux que Fualdès, qui ne survit plus que par sa complainte, et les spectateurs se demandent visiblement qui est cette Belladone au nom de poison. Georges le leur explique en quelques engueulades, et cette carottière, qui, de son vivant, n’eut pas une bonne presse, n’a pas, après sa mort, une bonne foire. Le meurtre à base de chimie n’est pas de ceux auxquels le peuple est indulgent chez nous, parce qu’il est lâche.