Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/165

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teur de la Ballade à la lune, soit peu de chose. Mais le médecin vint et Musset put s’intituler : l’Enfant du Siècle. Ça y était.

— Ah ! mon dieu, Malassis, quelle théorie émettez-vous là ? C’est l’éditeur qui parle, je pense ?

— L’éditeur aussi, sourit-il.

Et voici ce qu’il me conta :

Ce qui rendait Baudelaire si malheureux, ce n’était pas de l’être, mais de l’être au profit d’un artiste capillaire.

— Sa mulâtresse, Jeanne Duval, l’enfant sœur qu’il avait ramenée des colonies et en qui il voyait sa muse, aimait d’amour un merlan et elle nageait à Cythère avec ce gade. Le poète, qui le savait, en ressentait une humiliation profonde, et, de tous les frissons nouveaux qu’il a, selon Victor Hugo, créés, celui-là était le plus satanique.

— Concevez-vous cette honte, cher ami, me disait-il, un garçon coiffeur, d’ailleurs parfaitement niais et quelconque d’attraits, et cela parce qu’il lui démêle la tignasse ? Molière au moins, bourgeois avéré, l’était, lui, fait par des marquis, mais moi, Charles Baudelaire, un raffiné, un mandarin, je succombe à un « peluquero », et de la rive gauche encore ! C’était bien la peine d’aller la choisir aux îles !

Et il entrait en des transports de rage où son dandysme même sombrait avec toute sa haute culture. En vain le fidèle Asselineau s’évertuait-il à le calmer par des comparaisons prises dans la profession même. — Maître, lequel vaut mieux pour un grand artiste tel que vous l’êtes, de devoir son sort fatal à un coiffeur ou à un critique ? — Oui, le critique est