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II

LE PRÉCURSEUR DU SYMBOLISME


Je gagerais bien un sonnet contre une automobile qu’il n’y a pas six bibliophiles, mettons neuf, qui possèdent dans leurs librairies les deux volumes d’un ouvrage publié chez Dentu en 1884, dont l’auteur est un membre du Parlement anglais nommé sir Jean-George Tollemache Sinclair, baronnet et député héréditaire du comté de Caithness, en Écosse. Et même je vais plus loin, j’augmente l’enjeu de deux sonnets, ce qui fait trois sonnets, si l’un des conservateurs de la Bibliothèque Nationale me prouve, ou simplement me jure, que cet ouvrage a été, une seule fois, depuis son dépôt légal, demandé par âme qui vive.

Voilà bien qui donne raison au mot sans cesse répété de mon vieil ami Léon Dierx : « Personne ne sait rien de rien et jamais l’ignorance n’a semblé plus obligatoire que depuis qu’elle est gratuite. » Du reste, Léon Dierx lui-même ignorait sir Tollemache Sinclair et je vois encore sa stupeur le soir où, entre deux pipes, je lui démontrai que ce baronnet était le père du vers-librisme. Car il le fut et non un autre.