Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/183

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et j’allais à chaque instant chez Dentu, au Palais-Royal, pour le rencontrer, lui être présenté et en mourir. J’eusse donné tout Balzac, tout Dumas père et George Sand par-dessus le marché pour ce roman des romans : Et cœtera, où se magnifiait l’art concret et suggestif de Stendhal. — Je ne l’ai vu qu’une fois, me disait Dentu, quand il m’apporta son manuscrit, refusé par tous mes confrères. C’est un homme froid, distingué, grave et de tournure diplomatique. Comme il fit les frais de la publication, j’acceptai de l’entreprendre, mais je n’ai pas lu l’ouvrage. Est-ce que c’est bien ?

Si c’était bien ! Et je lui en citai quelques passages, retenus par cœur. — Sauvaître, Sauvaître, se mit à crier Dentu en appelant son principal employé, vite, montez-moi les deux volumes de ce député écossais !… — Il n’y en a plus, fut la réponse ; ils sont tous partis le premier jour. — Comment partis, vendus ? — Mieux que vendus, distribués dans les imprimeries à tous les protes, compositeurs et correcteurs de Paris. — Par qui distribués ? — Par l’auteur lui-même. — À quel titre ? — À titre de bons juges et de derniers conservateurs de la langue française.

Si en humorisme sir Tollemache Sinclair n’est en somme que disciple, d’ailleurs magistral, des pince-sans-rire de sa race, en art lyrique il est un précurseur, et ce n’est pas à lui qu’il faut s’en prendre si l’école prosodique qu’il a fondée n’a pas répondu au rêve de conquête du Pinde dont elle se berçait sur les décombres du vers classique et même du vers romantique. Le vers-librisme, pour le définir du nom même qu’il s’est donné, et qui par parenthèses