Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/19

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sujet, son sujet ne serait plus triste, et, comme il le désirait triste, il ne l’a pas égayé. J’aime cette volonté simple. Avez-vous lu Cœur simple, de Flaubert ? Dans Cœur simple, Flaubert s’était proposé de rendre la vie grise, monotone et sans accidents aucuns, d’une vieille fille de province. Il pouvait y faire intervenir le Grand-Turc. Il ne s’y est pas résigné. C’est pourquoi Cœur simple est un chef-d’œuvre. La critique n’en a pas soufflé mot, parbleu !

L’unité de ton dans les œuvres de théâtre, ainsi que dans toutes les œuvres d’art, est ce qu’il y a de plus difficile à obtenir. Le génie même ne la donne pas toujours : elle est le produit de la conscience. Je ne sais rien de plus consciencieux que Les Corbeaux. J’y sens, entre les scènes, presque entre les répliques, des sacrifices sans nombre faits par l’auteur à la seule vérité. Si jamais pièce a eu le droit d’être représentée telle qu’elle était écrite, c’est celle-là. Il y a là travail de mosaïque, et la seule équité exigeait que les moindres petites pierres en fussent respectées. Il n’en a rien été cependant et Henry Becque a dû se laisser dégrader. On lui a coupé des scènes entières, et la critique a trouvé cela très bien, elle a applaudi à cet émondage opéré de force par des jardiniers en chambre. Ah bien, c’eût été quelque chose de propre à voir qu’un jeune auteur résistant à l’expérience consommée du monsieur qui est là pour représenter tous les gouvernements qui se succèdent en France et qui, par conséquent, doit s’y connaître en proportions scéniques ! Je dois être un exécrable critique, car je trouve que Becque a eu tort de céder et de se laisser manquer de respect