Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/232

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d’Oro, évasé en entonnoir ou plutôt en pavillon de cor gigantesque, au fond duquel la Gravona roule ses pierres porphyriques. Les parois de cet entonnoir semblent de velours vert, tant la haute futaie des pins y est drue et serrée.

Une fois qu’on a pénétré dans l’abîme, on sent qu’on y est en sûreté contre toute entreprise, et que se risquer là sans sauf-conduit serait d’un fou. Dans l’échancrure de ciel qui plafonne et ferme d’un saphir le cornet d’émeraude, de petits aigles planent et jettent des cris qui se répercutent, agitent pendant plus d’une minute les ondes sonores, et se battent avec les échos. L’effet est surprenant.

Deux maisonnettes et une fontaine commune tachent de leurs blancheurs, comme trois carrés de linge un gazon, les verdoyances du gouffre.

Comment les Bellacoscia sont-ils arrivés à édifier leurs habitations dans cette solitude alpestre, à l’accès impraticable, et quels maçons les y aidèrent ? Toujours est-il que les voilà, ces maisons des bandits, et fraîchement réchampies encore, maisons corses s’il en fut, et construites pour la défense, avec leurs terrasses en avancée et formant pont.

On me dit qu’elles se rejoignent par un chemin souterrain, et que ce chemin lui-même mène à des cavernes où les frères Bonelli sont cachés en ce moment. Le jeune Antoine m’indique d’un geste tout le périmètre de la gorge.

« C’est là-dedans, me dit-il, mais je ne sais pas où moi-même.

— Moi non plus ! ajoute le cousin.

— Ni moi, fait Marthe entre deux bouffées. Mais ils nous voient en ce moment. Saluons-les. »