Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/265

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que l’on s’y arrête. Quel profil hautain sur la montagne !

Je serais bien étonné qu’il n’eût pas donné son homme à la Corse et que rien d’énergique ne fût sorti de ce nid d’aigle. Il ne me surprend pas d’apprendre en effet que Soveria est le bourg natal de l’un des plus rudes grognards de l’épopée impériale, le général Cervoni, tué à quarante et un ans à la bataille d’Eckmühl.

Ce général est le héros d’une histoire assez amusante. C’était lui que Napoléon avait chargé d’aller au Vatican signifier à l’héritier de saint Pierre sa dépossession définitive du cher pouvoir temporel. La mission n’était pas des plus agréables. Cervoni s’en acquitta avec une brusquerie si soldatesque que le malheureux Pie VII en resta épouvanté. Le général était de l’école littéraire et diplomatique de Cambronne.

Quelques années plus tard, quand le pape s’en vint à Paris pour le sacre impérial, Cervoni eut son tour à la suite des autres officiers, pour saluer le pontife, et il le fit d’une voix de stentor, avec l’accent quasi italien qui est le corse. Pie VII avait gardé un vague souvenir de cette voix-là. Elle lui rappelait quelque chose d’embêtant dans sa carrière. Il dressa la tête, regarda le général, et le complimenta de parler la langue harmonieuse du « si ».

« Vous êtes Italien ? demanda-t-il.

— Presque, saint-père, tonna Cervoni.

— Eh ! eh ! sourit le pape en s’avançant pour le bénir.

— Oui, je suis Corse.

— Ah ! ah ! ah ! »