Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/277

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La première impression que donne la Castagniccia est celle d’un parc impérial et splendide, où les allées sont dessinées par un Le Nôtre, fou de grandeur, et taillées à larges coups de serpe dans une nature vierge. Il y a du Versailles et du Saint-Cloud dans ce jardin en labyrinthe, plein de rocailles et de cascades bruissantes, mais du Versailles reparti à l’état sauvage, du Saint-Cloud reconquis par la solitude, et rendu aux lianes colossales et aux mousses antédiluviennes.

On dit d’ailleurs entre géologues que la Castagniccia est l’Élysée de la botanique : j’ajoute un Élysée où l’on se promène en calèche.

Rien ne peut suggérer une idée de ces châtaigniers justement historiques, puisqu’ils nourrirent seuls pendant plusieurs années les armées sobres et fanatiques de Paoli. Leurs colonnades massives bordent la route d’arcades verdoyantes et profilent à perte de vue les charmilles sans fin, au bout desquelles une cascade luit comme un dressoir d’argenterie.

L’un de nous, étant descendu un instant de voiture pour ramasser quelques châtaignes sous les arbres, poussa de loin un tel cri de surprise que nous courûmes à lui, inquiets. « Venez voir ! » criait-il.

Et nous vîmes. Dans l’intérieur d’un tronc formidable, une chambre entière sculptée à même l’arbre. La table, les deux escabeaux, une petite armoire, tout s’y trouvait. Il y avait la cuiller et la fourchette dans l’armoire, et, sous la table, une paire de sabots !…

Comme les Corses donnent quelquefois en dot des châtaigniers complets à leurs filles, celui-ci devenait