Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/287

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C’est là que je vivrais si je devais vivre à Bastia. J’élirais sans doute domicile aux environs du marché aux châtaignes, où il y a de si curieux griffons de bronze et qu’anime le bavardage des commères autour d’une fontaine. L’odeur historique de la vieille cité corse n’est respirable que là, du moins pour des narines ethnographiques.

Quant à la terriblement majestueuse place Saint-Nicolas, où l’on contemple, foudroyé, la statue de Napoléon dont je vous ai parlé plus haut, je ne veux pas m’attirer une vendetta bastiaise, mais, sapristi ! quelle place, et quelle statue ! Il est vrai que, si elle n’était pas si grande, les pieds du Napoléon déborderaient du socle sur la mer ! D’après la conception du brave statuaire, si la postérité s’y fie et y réfère, comme on dit de Charlemagne « l’empereur à la barbe fleurie », on pourra appeler Napoléon « l’empereur aux grands pieds ». Ils durent tenir, s’ils étaient ainsi, tout le pont d’Arcole. Enfin j’ai vu mieux en fait de proportions académiques, je vous en donne ma parole d’honneur !

Pour la place en elle-même, il y souffle un tel vent, le libeccio, qu’on s’y croirait en Avignon. Comment le petit théâtre de bois, baraque informe qui l’orne, y résiste, c’est ce que je n’ai pu comprendre. On doit la lester de tragédies. Cette grange a encore une fois éveillé en moi le souvenir mélancolique du pauvre poète Albert Glatigny, qui y joua du Scribe. Glatigny était « troisième utilité et souffleur » d’une troupe ambulante, et c’est en se rendant de Bastia à Ajaccio qu’il fut pris pour Jud et emprisonné à Bocognano.

Pourquoi ne pas le dire ? Je me suis assis sur un banc devant cette « roulotte » échouée là comme